L’esprit à la française
av Christer Nordlund

Je commence cet essai par trois exemples d'expressions et de sentiments, que l'on rencontre souvent en France, en tout cas plus souvent en France qu'en Suède. Ensuite, je les placerai dans une perspective plus large pour tenter de définir quelque chose qui pourrait être L'esprit à la française ou peut-être L'esprit français.
 
C’est compliqué
 
Quand quelqu'un est interviewé à la radio ou à la télé française, n'importe qui, sa première réponse est souvent que c'est compliqué. C'est quelque chose que vous n'entendez presque jamais à la radio suédoise ou anglaise où, en tant qu'expert, vous allez directement à votre réponse. Pour m'amuser, j'ai googlé la question « pourquoi les français disent, c’est compliqué». La première chose que j'ai trouvée était un article du Figaro, qui ne répondait pas à la question googlée mais qui se demandait plutôt pourquoi le mot compliqué était presque toujours utilisé à la place du mot difficile. L'article commençait par ces mots « Rien n'est simple ! » 1)
 
Peut-être que beaucoup le disent, non pas parce qu'ils pensent que c'est particulièrement compliqué, mais pour préparer le terrain à de futurs désaccords. Pour garder plus d'options ouvertes au cas où des questions difficiles surgissent ou lorsqu’une discussion commence. Comme une tactique plutôt que comme un constat.
 
En colère
 
Une autre expression fréquemment utilisée dans les médias est « en colère ». Les Français sont-ils plus en colère que les autres ? Si vous regardez l'histoire depuis 1789, vous pouvez bien sûr trouver des preuves de cela. Et si vous regardez toutes les grèves, qui sont souvent acceptées comme quelque chose de tout à fait normal par ceux qui sont touchés indirectement, cela indique également qu'être en colère est quelque chose de très compréhensible en France. Et quelque chose qui est significatif à la radio et à la télévision, c'est précisément la question ; Vous êtes en colère ? L'état de colère est simplement un peu plus naturel en France qu'en Suède.
 
La mélancolie
 
Un troisième sentiment plus discuté et accepté en France qu'en Suède est la mélancolie. Peut-être cela vient-il aussi de l'histoire du pays, du romantisme qui suivit la révolution avec le « mal du siècle », Chateaubriand et puis l’un des poètes les plus célèbres du pays, Baudelaire avec Les fleurs du mal. À cette époque, il y avait un mouvement dans plusieurs pays d'Europe, mais en Suède, il est difficile de voir des traces de cela. Cependant, en France, cela perdure. Entre autres choses, l'une des chaînes de radio les plus populaires, France Inter, a un programme qu'ils appellent « Remède à la mélancolie » qui est diffusé le dimanche à 10h00. En Suède, une émission sur ce thème aurait probablement été diffusée sur P1 le lundi à 23h00.

L’idéal
 
Quelle est la raison de cette colère, de cette mélancolie et de cette vision que les choses sont compliquées ? Un article paru l'année dernière dans The Economist aborde la question avec le titre : « France is doing well, but feeling miserable ». Une explication possible est le rôle de l'État en France. Le rôle fort de l'État en France crée chez le peuple des exigences irréalistes. Au début de la pandémie, 39 % des Français pensaient que l'État avait bien géré la crise, alors que qu’en Allemagne le chiffre était de 74 % et au Royaume-Uni de 69 %. Cela doit être mis en perspective avec ce qui s'est passé ensuite. En novembre 2021 la croissance du P.N.B français était supérieure à celle des pays voisins et le chômage inférieur à ceux des pays voisins : l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne.
 
Mais peut-être que les comparaisons avec les autres pays voisins ne sont pas importantes pour les Français. Claudia Senik, économiste à l'École d'économie de Paris, donne une explication. Elle estime que « les Français ont un rapport ambivalent au bonheur... en tant qu'idéalistes, les Français trouvent le monde réel toujours décevant. Instruits dès leur plus jeune âge dans un esprit critique, ils sont heureux d'être en désaccord » 2) (ma traduction de l’article de The Economist).
 
Esprit critique
 
Qu'est-ce donc que l'esprit critique ? On peut commencer par affirmer que la philosophie a une position nettement plus forte en France qu'en Suède. À travers la philosophie, il y a un fil conducteur qui va de Socrate à l'enseignement actuel en France en passant par Descartes et les Lumières. Il y a, bien sûr, des points de vue différents et parfois contradictoires sur ce qu'est l'esprit critique (ce qui est dans la nature des choses quand il s'agit d'esprit critique). Mais de manière générale, la méthode consiste à poser des questions comme « qui, quoi, où, quand, comment et pourquoi » pour vérifier une vérité.3)
 
Cette disposition accompagne ensuite le Français pour le reste de sa vie. Vous êtes critique, vous discutez et vous rencontrez des résistances lorsque vous affirmez quelque chose. La méthode peut parfois être épuisante à vivre. Mais en même temps, on peut dire que ça se résume à l'expression "critique à la source", qui aujourd'hui n'en est pas moins importante avec tous les réseaux sociaux qui diffusent des vérités, mais aussi beaucoup de mensonges.
 
Conclusion
 
L’esprit à la française ? Je dirais comme les Français : la question est compliquée. En tout cas, si vous avez l’ambition de donner une image complète du sujet. Ce que j'ai écrit n'est bien sûr qu'un point de vue parmi tant d'autres. Pourtant, si l’esprit critique ou la pensée critique n'est pas la même chose que l'esprit à la française, elle en fait assurément partie.
 
Notes
 
1.     « C’est compliqué », Le Figaro, 02/11/2016
2.     France is doing well, but feeling miserable, The Economist, 16/11/2021
3.     Fr.m.wikipedia.org, mot recherche : Esprit critique