L’assiette aux fèves et le chandelier de Noël
av Lisa Österlund

Décembre 2021. Les nouvelles candidatures aux élections présidentielles de 2022 en France défilent. Stupéfaite, j’assiste à ces images de la France qui remplissent mes écrans avec des idées de ce qui constituerait réellement ce vaste pays en termes d’identité et de culture. Comme si on se trouvait déjà au réveillon, à l’heure des grands artifices. Bousculée devant ce spectacle médiatique, toute cette batterie visuelle éjectant des visages des Français célèbres de tous les temps, toutes ces idées préconçues (et tellement bêtes et stéréotypes) sur ce que représenterait véritablement cette nation, des symboles portant tous les clichés pensables et rattachables aux valeurs imaginaires de la France, prétendant ainsi représenter une culture dans le monde entier, mais enfin ! La France, ce n’est pas cela !

La première neige est tombée. Je viens d’allumer la deuxième bougie du deuxième dimanche de l’avent de mon chandelier. Un rite qui est important, un rite dont nous avons tant besoin, un de tous ses marqueurs qui signalent une appartenance à un contexte, à une culture, et qui peut apporter une signifiance et une direction ; un sens à notre vie. Un rite et une tradition de chandelier d’avent qui n’existe pas de la même manière en France. Nous avons tous nos rites et des traditions auxquelles nous tenons. Mais d’appartenir à une culture, et de connaître les mœurs d’une société donnée en profondeur, cela ne voudrait tout de même pas dire qu’elle porterait plus de valeur qu’une autre. Mais non ! 

Mes yeux tombent sur la belle assiette en argent qui m’a été offerte d’un ami qui avait travaillé, d’antan, dans un ancien hôtel dans le 2e arrondissement de Paris, et où cette pièce avait fait partie de l’ameublement du restaurant de l’hôtel. Une assiette qui avait probablement une fonction à l’hôtel déjà à l’époque où Marcel Proust se promenait dans le quartier, et qui est posée maintenant dans l’appui de fenêtre ici à Stockholm, dans une autre ère, et dans une autre capitale de l’Europe, et sur laquelle je préserve aussi ma petite collection de fèves de galettes des rois. Un cher objet dans lequel énormément de mémoires et différentes manifestations culturelles sont ancrées, et qui reste aussi un symbole important, placé juste à côté de mon chandelier de Noël, comme un rappel à ce qu’une culture ne pourrait jamais être détachée complètement d’une autre, et que toutes les cultures sont reliées. 

Le jour commence à s’assombrir. Le blanc qui couvrait le milieu de l’avenue à l’instant, s’est transformé en nuances bleuâtres sous mes yeux. Le solstice d’hiver se produira sous peu. Je pense au fait qu’il y toujours ces interstices, ces brèches à travers lesquelles la lumière finit par arriver à nous joindre, et à nous affecter au plus profond. Je pense à l’importance qu’a joué l’apprentissage du français au courant de ces deux dernières années, depuis que la pandémie a envahie nos vies. Je pense aux heures que j’ai passées á côté de cette fenêtre en écrivant des textes et en lisant, en me plongeant dans des mondes comme celui de Phèdre de Racine, du Le Rouge et le noir et l’univers dépeint par les poètes symbolistes. Des moments intenses et très forts. Pour ne pas mentionner l’absorption totale dans les volumes d’À la recherche du temps perdu, que j’ai finalement eu la possibilité de lire, me transformant, petit à petit ; j’en suis sortie comme une autre. Oui, c’est plutôt cela, une culture : une société offrant des possibilités de rencontre et de changement à travers ses manifestations culturelles, et non à travers ses symboles les plus simplistes !

Une des plus belles choses que j’ai apprise au cours de mes études de langue à l’université, réside justement dans la notion de culture. Dans le cadre de ces cours, j’ai été introduite à la conception de la notion de culture que propose le philosophe François Jullien, et qui décrit sa vision simplement comme une question d’exploiter les « ressources culturelles » qui sont disponibles autour de nous comme des « fécondités », c’est-à-dire des richesses en forme de nos langues, la littérature, les arts et les patrimoines, et qui sont libres à exploiter, pour chacun d’entre nous ! Le seul effort demandé pour y accéder, c’est d’apprendre les langues dans lesquelles ses ressources sont produites et ancrées, puis, c’est justement dans cet entre des cultures, qu’une rencontre dynamique peut se produire, selon Jullien. 

Cette image de la culture a été révélatrice, et elle reste, pour moi, la plus belle description de ce que cela pourrait dire, concrètement, d’apprendre une langue, et de s’intéresser à d’autres univers. La culture française, telle que je la conçois, n’est donc pas une chose figée : puisqu’une culture se cultive ! Non, c’est en appliquant ses connaissances de langue, et en se cultivant, que la culture continuera à ouvrir des brèches pour faire rentrer la lumière, et pour nouer de nouveaux liens qui s’étendront à travers les continents. 
 
Référence bibliographique :
Jullien, F. (2016). Il n’y a pas d’identité culturelle : mais nous défendons les ressources d’une culture. Paris: L'Herne